Yves Montenay

Billet de voyage : de retour de Moldavie

Voici un pays pauvre, qui a l’air riche. Une bonne terre (le fameux tchernoziom ukrainien, russe, etc.), des plantations de fruits, des vignes (et des bons vins)… Un centre-ville agréable, des cadres, des étudiants, des voitures bien tenues… mais si on regarde les salaires et prix, ou si on se promène dans les faubourgs, la pauvreté saute aux yeux.

Je suis venu ici parler de francophonie. Comme en Roumanie, dont elle est un morceau arraché par les Soviétiques, le français était largement répandu face au russe, étant une fenêtre sur le monde non soviétique. Mais, comme en Roumanie, l’ouverture sur le grand large a amené l’anglais et le snobisme des enseignes en cette langue.

L’ouverture sur le grand large, d’ailleurs, c’est beaucoup dire. Le Parti communiste n’a quitté le pouvoir qu’en 2009, et demeure très présent, notamment du fait de la division des autres partis. L’armée rouge est encore dans le pays, à 30 km de la capitale, en Transnistrie, région restée de fait sous contrôle russe. Une forte minorité russe a remplacé les intellos et les bourgeois francophones envoyés au Goulag lors de la soviétisation du pays à partir de 1944. Le russe est resté langue dominante dans l’enseignement et la société jusqu’il y a quelques années lorsque le moldave (terme soviétique pour le roumain) est redevenu langue officielle. Bref entre le russe, l’anglais et dans une certaine mesure l’allemand, la vie est rude pour les francophones, qui, dans les jeunes générations, sont surtout des filles : le français a gardé sa réputation culturelle, mais n’a pas encore gagné sa réputation économique.

Les édifices publics du centre de la capitale sont disproportionnés pour un pays de 3 millions d’habitants, que sa population quitte à toute vitesse, d’autant que la Roumanie « sœur » est membre de l’Union européenne et accorde facilement sa nationalité aux Moldaves. Et leur pays voudrait bien se rapprocher de l’Europe, mais, comme en Ukraine, la réaction russe est immédiate à l’évocation du moindre projet en ce sens : blocage des exportations de vins et de fruits  et roulements de tambour des troupes russes de Transnistrie.

Je rassure les géographes : je sais que la Moldavie est voisine de l’Ukraine et non de la Russie, mais je maintiens : armée russe, langue russe et je rajoute que cela crée aussi une menace militaire « dans le dos » sud-ouest de l’Ukraine et sur la ville d’Odessa, convoitée en cas d’une éventuelle partition de l’Ukraine, et que les Ukrainiens de Moldavie ne sont qu’une petite minorité parmi d’autres, à côté des Gagaouzes (Turcs chrétiens) et des « Bulgares » (musulmans), à ne pas confondre avec la « bonne » minorité russe.

Bref, j’ai été accueilli à bras ouverts pour deux raisons très complémentaires : soutien moral à une francophonie moldave menacée, et occasion de discussions politiques animées. Les oreilles de Poutine ont dû siffler !

Yves Montenay
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Billet de voyage : de retour de Bucarest

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Unirea « Shopping Center » à Bucarest (crédit photo : bucharestdailyphoto.com)

 

De passage à Bucarest fin mars 2015 pour une conférence, je vous livre mes impressions sur la situation de la francophonie roumaine.

Depuis l’ouverture du pays en 1990, ce que l’on peut appeler l’interface visuelle s’est considérablement anglicisée. Les menus, certaines enseignes ou plaques professionnelles, dont celles des bâtiments publics (donc une décision politique), et une partie de la publicité sont bilingues roumain-anglais, voire en anglais seulement pour les publicités techniques ou « mode ». Les conversations avec les employés de base se font spontanément en anglais, mais il faut immédiatement préciser que les intéressés ne parlent pas cette langue et n’en connaissent que les quelques mots nécessaires à leur activité, et encore… Bien entendu, c’est plus sensible chez les jeunes, les « anciens » parlant plus souvent français.

Ayant connu le pays à l’époque communiste où le français était un refuge contre l’enseignement du russe et où l’anglais n’était pas diffusé, puis immédiatement après la révolution de 1989, où l’équilibre des langues n’avait pas eu le temps de changer, je constate un recul considérable du français.

Notre langue serait étudiée en première langue par 20 % des élèves du secondaire, et en deuxième langue (deux heures par semaine) par 68 autres pour cent (donc un total de 88 %) ; il doit y avoir ensuite une déperdition considérable car on estime que seuls 2 millions de Roumains (13 % de la population de plus de 20 ans) sont capables de parler français, dont une bonne part sont des gens  de plus de 40 ans.

La coopération linguistique semble active entre l’administration française, certaines entreprises, françaises également qui offrent des stages et des débouchés aux francophones, et les départements de français des universités roumaines, ainsi que quelques enseignements spécialisés comme une partie des filières médicales. C’est important, mais cela ne touche qu’une minorité.

C’est donc une situation à l’égyptienne ou à la libanaise, où le français est socialement bien considéré, reste présent dans un certain nombre de filières d’enseignement et d’activité, mais n’est plus la première langue de contact tant qu’on ne le recherche pas. Par contre, si on s’en donne le mal, on peut échanger en français avec des gens très variés.

Une explication très partielle vient de ce que la Roumanie, comme la France, a laissé les communications avec Bruxelles se faire en anglais alors qu’il n’y avait aucune raison à cela. Or l’aide de l’Union Européenne est économiquement et politiquement très importante pour le pays, et cela contribue donc largement à répandre l’impression que tout ce qui est extérieur doive se faire en anglais.

Il faut toutefois préciser  qu’il s’agit d’impressions du centre de Bucarest, donc de la partie la plus mondialisée du pays, avec quelques zones ultra touristiques.

Mes amitiés à tous

Yves Montenay
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Il faut aller en Tunisie !

TunisieIl y a un grand élan de solidarité Franco Tunisienne, qui se matérialise par des messages dans les réseaux sociaux.  Le gouvernement français est aussi de la partie et la coopération sécuritaire va s’amplifier.

Que faire de concret ? La réponse est simple : les terroristes ont voulu stopper le tourisme qui est une des grandes ressources du pays, et plus généralement le couper du monde extérieur. C’est une raison de plus pour aller en Tunisie, alors que je crains de voir les organisateurs de voyages retarder ou annuler les départs.

Vous êtes fou, me dira-t-on, nous n’avons pas envie de nous faire tuer. Est-ce vraiment un risque ? Les Tunisiens veilleront sur vous et vous indiquerons les très rares endroits à éviter, qui ne seront d’ailleurs pas si dangereux que ça étant particulièrement surveillés maintenant.

Finalement c’est probablement moins dangereux que de faire du vélo à Paris !

Yves Montenay
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Vanuatu, le francophone inconnu

VanuatuIl faut être dévasté par un ouragan pour avoir des honneurs de la presse. Des journalistes se sont précipités dans ce malheureux pays, mais n’ont pas pu sortir de la capitale Port-Vila faute d’infrastructures épargnées.

Pas un seul n’a fait allusion au fait que le Vanuatu est un pays dit « francophone ». En fait ses 230 000 habitants ont une langue nationale le bichelamar, et deux langues officielles, le français et l’anglais. Le bichelamar, déformation de « bêche de mer », est le créole local, le français et l’anglais les langues des anciens colonisateurs qui l’administraient conjointement sous le nom de « condominium des Nouvelles-Hébrides ». Ces trois langues sont presque uniquement véhiculaires, à côté des 108 langues maternelles locales, souvent non inter incompréhensibles.

Par ailleurs l’anglais est la langue dominante de la région, mais le Vanuatu est voisin de la Nouvelle-Calédonie qui est pour lui un grand voisin francophone.

Cette bivalence est illustrée notamment par le fait que ce pays a été à la fois la première colonie française à se rallier De Gaulle et une importante base américaine contre les Japonais. Même bivalence aujourd’hui avec la coopération internationale, qui se fait à la fois avec les voisins anglophones riches (Australie et Nouvelle-Zélande) et avec la France.

Les journalistes auraient pu se demander pourquoi une partie de l’aide vient notre pays, et remarquer que certains bâtiments ont des enseignes françaises, bien que la capitale ne soit pas l’endroit le plus francophone de l’archipel.

L’économie est en grande partie traditionnelle, l’environnement splendide amène des touristes, mais sa partie moderne fait « tousser » s’agissant des prestations d’un paradis fiscal et d’un pavillon de complaisance.

Bref entre la francophonie, la guéguerre franco-anglaise qui en a résulté à une époque, le traditionalisme et cette pittoresque activité moderne, il y avait de quoi faire des articles bien plus intéressants que ceux qui sont passés sous mes yeux, même sans quitter Port-Vila, puisque je n’ai moi-même pas quitté Paris ! J’ai eu par contre en son temps les confidences de Philippe Rossillon, qui, là comme ailleurs, a donné un coup de pouce à la francophonie locale.

Yves Montenay
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Accueillons les réfugiés syriens !

Des péripéties professionnelles m’ont éloigné quelque temps de Mondoblog, mais le drame des réfugiés syriens me fait sauter sur ma plume. D’autant qu’il s’agit d’un pays que je connais et que je suis dans le cadre de ma lettre « Echos du monde musulman »

Je suis profondément choqué que la France n’accueille pas davantage de réfugiés syriens. Selon les statistiques officielles 3500 réfugiés accueillis en 3 ans contre 10 000 pour l’Allemagne, ce qui n’est déjà pas énorme considérant le besoin de plus de trois millions recensé par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés.

La France a été beaucoup plus généreuse dans le passé, notamment pour les réfugiés d’Indochine et du Chili, dont l’intégration s’est bien faite. Soyons lucides : le fait qu’ils soient musulmans est probablement pour beaucoup dans cette réticence. C’est en pensant à cela que j’écris ce qui suit.

Certes les grands principes passent avant tout : cette guerre est atroce et cela devrait suffire. Je vais toutefois me limiter à donner des arguments dans ma spécialité : la démographie politique, branche de la géographie humaine, et l’économie.

D’abord il s’agit de réfugiés, et non de migrants économiques ou de bénéficiaires du regroupement familial, dont une partie est soupçonnée de venir pour bénéficier de « l’État providence » français au sens large (y compris le système scolaire par exemple). Et ces réfugiés s’échappent d’une guerre où les deux camps rivalisent d’atrocités : bombardements aveugles, emprisonnements et tortures, exécutions sommaires, et côté djihadistes, les brimades que vous savez (il n’y a pas que l’État Islamique, il y a aussi son rival Al Qaïda et d’autres groupes), sans parler de la faim et de la catastrophe sanitaire que tout cela engendre. Ce n’est pas notre État-providence qui les attire, et l’expérience montre que ces réfugiés sont reconnaissants au pays d’accueil et pressés de travailler.

Par ailleurs, il s’agit de gens qualifiés de la classe moyenne-supérieure (ils ont payé le billet d’avion du Liban à la Turquie et des milliers de dollars pour le bateau, pour parler des cas récents). Ils sont donc capables de s’adapter et nous en avons besoin, notamment de ceux qui sont médecins.

Maintenant, je reviens à leur religion : ceux qui ont quitté le centre et l’est de la Syrie ont vu de près les islamistes et ont fui. Ceux qui viennent de l’ouest ne se sont pas réfugiés à l’est, donc ne les apprécient pas non plus. Bref ce ne sont pas « de la graine d’extrémiste » et ils sont sûrement « vaccinés » contre certains prêches. Il est même possible qu’ils fassent partie de ces musulmans qui ne le sont plus vraiment comme il y en a beaucoup en France (mais ce ne sont pas ceux-là qu’on remarque !).

Enfin un argument de politique étrangère : si nous accueillions les Syriens réfugiés au Liban (plus d’1 Million de syriens réfugiés au Liban selon le HCNUR), nous rendrions service à un pays très ami que nous n’avons pas souvent l’occasion d’aider. Et dans la région, nous serions pris plus au sérieux quand nous parlons de la liberté et des vertus de la démocratie !

Je sais, j’ai parlé de questions concrètes et non « des grands principes » (un peu quand même), mais c’est pour m’adresser aux Français tels qu’ils sont, c’est à dire choqués par la frange hostile et violente des musulmans et oubliant donc que le plus grand nombre est semblable à leur collègue de bureau avec qui ils s’entendent parfaitement.

Yves Montenay
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A lire également, cet article du 14 Mars 2015 : Près de quatre millions de réfugiés syriens désespérés

 

 


Bonjour tout le monde !

Yves-Montenay

Bienvenue sur le site d’Yves Montenay sur le Réseau Mondoblog.

Je suis né il y a très longtemps, et ai donc étudié, vu et pratiqué beaucoup de choses dans beaucoup de pays, auxquelles s’ajoutent des témoignages de mes parents, grands-parents, oncles … qui eux-mêmes ont vécu dans de nombreux pays du Sud. Quand j’étais jeune, les plus vieux évoquaient encore la guerre de 1870, alors toujours présente dans les programmes scolaires ou celle de 14 -18. Tout le monde évoquait celle toute fraîche 1939-45, vécue elle aussi en partie au Sud (voir Le Cycle colonial à travers une famille). J’ai ensuite eu droit en direct à la guerre froide, si chaude au sud (Corée, Indochine, Algérie…) et à la décolonisation.

Ça fait beaucoup de sujets dont nous pourrons parler ici, que vous me posiez des questions, ou que je vous provoque gentiment, en posant une question politiquement incorrecte.

Par exemple : « Que préférez-vous : le néocolonialisme français de jadis en Afrique, ou la politique chinoise actuelle dans le même continent. Faut-il l’appeler coloniale elle aussi ? »

Plus d’articles disponibles sur mon site yvesmontenay.fr
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